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Une copie d’examen ne remplacera jamais le dialogue entre étudiant et professeur [1]

Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) bouleverse nos habitudes dans tous les domaines. L’enseignement supérieur n’y fait évidemment pas exception, en particulier pour ce qui concerne le droit, pour l’étudiant, d’obtenir une copie de son examen, ou plus exactement une copie des données personnelles contenues dans son examen.

Jusqu’ici, le droit de copie d’examen était controversé au regard de la législation en matière de publicité administrative, dans le silence des règlements des études et des examens (REE). A partir du 25 mai 2018, ce droit s’imposera directement en vertu de l’article 15 du RGPD. En effet, depuis le récent arrêt Peter Nowak c. Data Protection Commissioner rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 20 décembre 2017, il ne fait plus aucun doute que les réponses écrites fournies par un candidat lors d’un examen professionnel et les éventuelles annotations de l’examinateur relatives à ces réponses constituent des données à caractère personnel (affaire C-434/16). Comme l’article 15 du RGPD prévoit désormais explicitement que la personne concernée est en droit d’obtenir une copie de ses données à caractère personnel, l’étudiant bénéficiera de ce droit en ce qui concerne les copies d’examens. Une législation pourrait faire exception en matière d’enseignement mais en respectant l’essence dudit droit et par une mesure nécessaire et proportionnée prise pour garantir la protection de l’étudiant, par exemple, au sens de l’article 23 du RGPD. Une telle législation n’est toutefois pas envisagée avant le mois de juin 2018.

Il s’imposait par conséquent de baliser le droit de copie d’examen, à défaut de pouvoir le faire dans le REE en cours d’année académique. Il s’agissait de mettre en œuvre ce droit mais aussi d’en montrer les limites car il comporte certaines obligations y compris dans le chef de l’étudiant.

Dans ces conditions, nous avons décidé, à la Faculté de droit de l’Université de Namur, d’autoriser provisoirement nos étudiants qui le demandent de prendre leur copie d’examen en photo ou photocopie lors des accès aux copies organisés sachant que

- seule la copie personnelle d’un étudiant peut être copiée de la sorte, à l’exclusion de toute autre ;

- une copie d’examen vierge ne peut pas être copiée ;

- il est interdit à l’étudiant de publier cette photo/photocopie sur les réseaux sociaux (et plus généralement sur le net) en raison de la présence de données personnelles à l’enseignant, matérialisées par ses corrections/appréciations protégées au même titre que les questions.

Nous insistons par ailleurs avec force sur l’importance pour l'étudiant de se rendre aux séances organisées pour consulter ses examens et d’en profiter pour dialoguer avec les professeurs et assistants disponibles de manière à comprendre ses erreurs et pouvoir progresser.

C’est que, plus fondamentalement, une copie d'examen ne remplacera jamais ce dialogue. La pédagogie du droit de copie impose de prévoir des modalités dans ce sens.

Marc Nihoul, Doyen de la Faculté de droit de l’UNamur

[1] « Le droit de copie d’examens à l’ère des technologies de l’information » est le titre d’une contribution publiée dans le livre d’hommage offert à Yves Poullet à l’occasion de son éméritat, intitulé Droit, normes et libertés dans le cybermonde (Bruxelles, Larcier, 2018, p. 199-222).

Pour une autorité de protection des données forte et efficace

Une carte blanche d’Elise Degrave. L’autorité de protection des données remplacera bientôt la Commission de la protection de la vie privée. De nombreux éléments doivent être clarifiés pour que cette institution jouisse de prérogatives fortes.

Les enjeux juridiques des rapports entre religion et genre [1]

Le 15 septembre 2017 a été lancé en Communauté française le nouveau Master en Etudes de genre. Réunissant l’ensemble des Universités francophones de Belgique, ce Master interuniversitaire constitue, outre un pas important pour l’enseignement, une opportunité pour les chercheurs de toutes les branches des sciences humaines de se saisir des enjeux liés au genre que recèle notre société contemporaine.

D’un point de vue juridique, l’un des enjeux aujourd’hui est – parmi de nombreux autres car le genre présente la particularité de traverser l’ensemble des branches du droit – celui des rapports entre religion et genre.

Plus précisément, il s’agit, dans une perspective juridique, de s’interroger sur la rencontre des enjeux liés au genre – en tant que notion faisant référence à une construction politique, sociale et culturelle de la différence des sexes – et ceux liés à la protection de la liberté de religion.

S’agissant de la liberté religieuse, l’on remarquera que les textes juridiques de droit positif, qu’ils soient nationaux ou internationaux, l’envisagent généralement sous la forme d’énoncés genderblind (« aveugles au genre »). En effet, tant l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme que l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, pour ne citer que ces deux exemples, disposent que « [t]oute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ». Par contraste, l’on notera que la plupart des droits religieux sont genrés, avec notamment une exclusion des femmes de certaines fonctions cultuelles.

L’un des enjeux juridiques des rapports entre religion et genre consiste donc en la résolution d’une forme de conflits de droits entre, d’une part, la protection de la liberté de religion et, d’autre part, la lutte pour l’égalité et la non-discrimination, principale revendication des analyses de genre.

Dans ce contexte, l’on voit naître une préoccupation par rapport au risque que peut emporter la garantie de la liberté religieuse lorsque la résolution du conflit de droit emporte une atteinte au principe d’égalité et de non-discrimination (l’on songe par exemple aux exceptions permises à l’endroit des communautés religieuses d’employer des hommes à l’exclusion des femmes dans des fonctions pour des raisons convictionnelles). Aussi, en vue d’éviter que la protection de la liberté de religion n’emporte la violation des droits des femmes, certaines recommandations internationales – comme par exemple l’observation générale n° 22 du Comité des droits de l’Homme relative au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion – précisent que la protection de la liberté de religion ne saurait autoriser un Etat, un groupe ou une personne à violer le droit des femmes.

Il reste que ces recommandations posent question sur le plan de leur caractère juridique contraignant, ce qui a pour conséquence que la lutte pour la protection des droits des femmes et de l’égalité entre hommes et femmes constitue un enjeu crucial en droit pour lequel, si des avancées peuvent certainement être notées, le chemin reste encore long à parcourir…

Stéphanie Wattier

[1] Le 19 octobre 2017, Stéphanie Wattier est intervenue dans le cadre de la Chaire Tolérance de l’Université catholique de Louvain sur la thématique des enjeux juridiques des rapports entre religion et genre.