Le législateur modernise la protection contre les discriminations sur la base du sexe
Le législateur fédéral a pris l’initiative de renforcer l’arsenal législatif en matière de lutte contre les discriminations. Par une loi du 4 février dernier, publiée le 28 février au Moniteur belge, il a modifié la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes. On rappelle que la loi de 2007 avait été adoptée pour mettre en conformité le droit belge avec le droit européen de la non-discrimination. La récente évolution concerne, d’une part, la protection contre les discriminations sur la base de la vie familiale et, d’autre part, les personnes intersexes.
Désormais, sont assimilées à une discrimination sur la base du sexe les discriminations motivées par les critères suivants : l’allaitement, l’adoption, la procréation médicalement assistée, la paternité, la comaternité et les caractéristiques sexuelles. Si la proposition, émanant du CD&V, visait initialement uniquement la paternité, plusieurs amendements proposés par divers groupes politiques ont été retenus et le champ de la loi s’en est trouvé considérablement étendu.
Tout démarre du constat que les hommes ne sont pas assez nombreux à prendre leur congé de paternité et sont victimes de stéréotypes sexistes lorsqu’ils veulent s’investir dans l’éducation des enfants. Bien que les débats parlementaires se soient surtout focalisés sur les discriminations au travail, on rappelle que le champ d’application de la loi du 10 mai 2007 est beaucoup plus vaste et concerne également l’accès aux biens et services, ainsi que la protection sociale. Il n’est donc pas exclu qu’un homme soit discriminé dans ces domaines-là en raison de sa paternité. Par ailleurs, une discrimination basée sur l’allaitement peut tout autant concerner une travailleuse qui souhaite prendre une pause pour nourrir son bébé qu’une cliente à qui on demanderait de sortir d’un restaurant alors qu’elle souhaite allaiter.
Bien qu’il s’agisse d’une matière sensible, on note que la loi a été adoptée à l’unanimité des voix par la Chambre des représentants, tant en commission qu’en séance plénière. Cet unisson s’explique en partie par le rejet, en commission, de certains amendements souhaitant étendre davantage la liste des critères. Ainsi, le cdH avait proposé, par la voix de la députée Catherine Fonck, d’insérer les responsabilités familiales parmi la liste des critères protégés. Ce critère n’a toutefois pas été retenu. Il est vrai qu’il peut être difficile de déterminer la portée de ce critère et l’intensité des obligations d’autrui, notamment en termes d’aménagements raisonnables de la part de l’employeur. Cependant, on rappelle que la Belgique a ratifié la Convention n°156 de l’OIT, laquelle impose à ses signataires de prendre des mesures pour lutter contre les discriminations fondées sur les responsabilités familiales. L’Institut pour l’égalité des femmes et de hommes plaide également pour l’inclusion des responsabilités familiales dans la loi.
Quoiqu’il en soit, la modification législative nous parait bienvenue, à plus d’un titre. Tout d’abord, d’un point de vue symbolique, la loi anti-discrimination affirme (enfin) que les pères ont un rôle à jouer dans la vie familiale et qu’ils peuvent se trouver discriminés. Sous l’angle juridique, si un employeur licencie un père qui souhaite bénéficier de son congé de paternité, celui-ci pourra désormais faire appel à la protection de la loi de 2007 et plus seulement invoquer les règles relatives au licenciement abusif. Il en va de même d’un père qui formulerait une demande d’aménagement raisonnable pour pouvoir déposer ses enfants à la crèche le matin.
Ensuite, l’inclusion des caractéristiques sexuelles dans les critères de discriminations permet d’étendre la protection de la loi aux personnes intersexes. L’intersexualité peut se définir comme le fait de présenter des caractéristiques sexuelles (biologique, anatomiques ou chromosomiques) qui ne correspondent pas à la binarité des sexes. La loi n’utilise toutefois pas ce concept. Si tel était le cas, elle accorderait une reconnaissance complète aux personnes intersexes, mais cette reconnaissance pourrait-elle se limiter à la législation anti-discrimination ? Par ailleurs, il reste à déterminer l’interprétation que les juges donneront aux caractéristiques sexuelles. Celles-ci peuvent être conçues soit de manière extensive et inclure des facteurs tels que la pilosité ou le timbre de voix, qualifiés de « caractères sexuels secondaires », soit, de manière restrictive, se limiter aux organes sexuels reproducteurs, qualifié de « caractères sexuels primaires ».
Enfin, des critères tels que l’adoption, la procréation médicalement assistée et la comaternité permettent de mettre en conformité le droit anti-discrimination avec la réalité contemporaine des familles. Le critère de la procréation médicalement assistée est particulièrement intéressant, dans la mesure où la personne qui y recourt ne peut invoquer le critère de la grossesse, puisqu’elle n’est pas encore enceinte au début de la procédure (et ne le sera peut-être jamais).
Pour conclure, ces modifications constituent indéniablement une avancée du droit belge de la non-discrimination, tant au plan opérationnel que symbolique.
Romain Mertens