Pour une Autorité de protection des données indépendante et forte

https://www.lesoir.be/417055/article/2022-01-11/pour-une-autorite-de-protection-des-donnees-independante-et-forte

Une carte blanche, rédigée notamment par Elise Degrave, Cécile de Terwangne, et Yves Poullet dans le journal le soir du 11 janvier 2022

L’intelligence artificielle et l’analyse des données constituent à la fois une révolution technologique, une transformation de nos sociétés désormais numériques mais aussi un risque important pour nos droits et libertés. Certes, pour soutenir ses politiques, l’Etat doit pouvoir organiser des échanges de données qui concernent de nombreux aspects de notre vie (santé, famille, habitation, situation financière, etc.). En contrepartie, l’Union européenne a imposé la création dans chaque Etat d’une Autorité chargée de la Protection des Données des particuliers (APD). Or, dès sa mise en place et jusqu’à ce jour, les décideurs politiques belges n’ont eu de cesse de contrôler cette autorité « indépendante », de la contourner, de la dévoyer et d’ignorer ses recommandations. Les clignotants se sont multipliés ces derniers temps.

Trois clignotants

  1. L’Autorité de protection des données a pour rôle de contrôler l’Etat. L’Etat doit donc faire en sorte que l’Autorité de protection des données ne soit pas infiltrée par des membres se trouvant sous l’influence de l’Etat. Or, elle l’est, notamment par la présence − en son centre de connaissance − de celui qui dirige la Banque-carrefour de la sécurité sociale et la Plateforme eHealth, deux institutions ayant pour mission de gérer de larges bases de données dans les deux plus grands secteurs du pays. La Commission européenne a mis la Belgique en demeure de régulariser la situation avant le 12 janvier. Aucune démarche effective n’a été entreprise par l’Etat pour répondre à cette exigence précise. Le risque est grand que la Belgique soit assignée devant la Cour de justice de l’Union européenne d’ici peu.
  2. L’Autorité de protection des données doit obligatoirement être consultée au stade de la préparation de toute mesure législative ou réglementaire prévoyant le traitement de données à caractère personnel. L’objectif de cette obligation est de garantir que les normes en projet puissent passer sous le « scanner » d’une autorité spécialisée en la matière, qui peut alerter publiquement des dangers de certaines pratiques envisagées. Or, malgré un rappel explicite du Conseil d’Etat, l’Etat n’a pas consulté l’Autorité de protection des données au moment de l’extension du Covid Safe Ticket à l’ensemble du territoire. La Commission européenne est d’ailleurs saisie d’une plainte à ce sujet.
  3. L’Autorité de protection des données dysfonctionne. L’une des directrices de l’Autorité de protection des données, en charge du centre de connaissance, a récemment démissionné, dénonçant le fait qu’elle n’était plus en mesure d’exercer son travail en raison de l’absence d’indépendance de certains des membres.

En outre, comme le révélait Le Soir, depuis le jour même où la Belgique était tenue de transposer en droit interne la directive européenne instituant un régime de protection des lanceurs d’alerte, deux autres directeurs – dont l’une a elle aussi dénoncé à de multiples reprises les dysfonctionnements de l’institution – sont visés par une procédure de levée de mandat pour des motifs non identifiés publiquement. Or, si la Chambre devait lever le mandat de directeurs de l’Autorité de protection des données pour des motifs non transparents et non liés à la mise en cause de leur indépendance, ce serait aggraver le problème de la non indépendance de l’Autorité de protection des données au lieu de le résoudre. De plus, la procédure quasi juridictionnelle qui est mise en œuvre se mène à huis clos, ce qui soulève aussi des questions préoccupantes s’agissant du respect des droits de la défense.

Violation du droit

Ces multiples clignotants ne révèlent pas seulement un « estompement de la norme » mais un mépris ouvert et la violation caractérisée du droit par nos plus hauts dirigeants politiques. Alors que ceux-ci ne cessent d’en appeler à l’obéissance des citoyens et au respect des règles, ils s’en soucient peu eux-mêmes et s’en affranchissent dans un domaine pourtant reconnu comme très sensible pour les droits fondamentaux et les libertés des citoyens.

De tels comportements ne peuvent qu’aggraver la profonde méfiance et inquiétude des citoyens à l’égard de l’action politique dans un domaine sensible dont ils appréhendent, non sans raison, les risques pour leurs droits et leurs libertés.

En attendant que ces violations soient examinées par des juges, nous en appelons à la vigilance des citoyens, des observateurs et des académiques. Nous serons particulièrement attentifs au respect de l’intégrité et des compétences de cette autorité indépendante de contrôle, de la suppression des conflits d’intérêts en son sein et du respect des règles du procès équitable et des droits de la défense dans la procédure en cours devant la Chambre.