Vacciner, au mépris des lois ?

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Jean-Michel Longneaux, philosophe, chargé de cours à l’Université de Namur.

               Mis à part les problèmes d’organisation et d’approvisionnement par les firmes pharmaceutiques, la campagne actuelle de vaccination semble se dérouler généralement bien. Toutefois des témoignages se multiplient qui doivent inquiéter : pour préserver ce bon déroulement, certains n’hésiteraient pas à enfreindre des lois pourtant fondamentales.

               Tout d’abord, des personnes acquises à la cause vaccinale semblent profiter d’une sorte d’impunité qui les autorise à harceler, à menacer et à mettre sous pression les hésitants, et à faire taire tous ceux qui osent poser des questions. Il n’est manifestement pas inutile de rappeler que la vaccination n’est pas obligatoire en Europe, et à fortiori en Belgique. Par ailleurs, la résolution du Conseil de l’Europe du 27 janvier 2021 défend sans ambiguïté la liberté vaccinale sans discrimination. On peut en effet y lire au point 7.3 que  « pour ce qui est d’assurer un niveau élevé d’acceptation des vaccins », il faut « s'assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n'est PAS obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner, s'il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement ; et de veiller à ce que personne ne soit victime de discrimination pour ne pas avoir été vacciné, en raison de risques potentiels pour la santé ou pour ne pas vouloir se faire vacciner. »

               Les personnes qui refusent d’être vaccinées ne commettent donc rien d’illégal, tandis qu’il est manifeste que les harceleurs qui font pression, en particulier sur le lieu du travail, contreviennent à la loi de juin 2002 sur le harcèlement moral et pourraient, le cas échéant, s’exposer à des poursuites. Pour rappel, le harcèlement moral au travail se caractérise par « des comportements, des paroles, des intimidations, des actes, des gestes et des écrits unilatéraux, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’un travailleur (…) », par le fait de « créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Cette définition correspond en tous points aux témoignages de travailleurs, notamment dans le monde de la santé, qui reconnaissent ne plus oser exprimer leur point de vue, et même s’être laissé vacciner contre leur volonté pour en finir avec les pressions exercées sur eux. D’autres ont démissionné ou disent être sur le point de le faire tant la violence subie est devenue insupportable. Même si ces cas étaient rares, ils seraient suffisamment graves pour être dénoncés en justice. Et ils devraient d’ailleurs l’être tout autant s’ils étaient le fait de non vaccinés ou d’anti-vaccins à l’encontre des vaccinés.

               Ensuite, tant qu’elle n’est pas obligatoire, la vaccination repose sur le libre consentement tel que le prévoit l’art. 8 de la loi de 2002 sur les droits du patient : « Le patient a le droit de consentir librement à toute intervention du praticien professionnel moyennant information préalable. » Ce principe est en effet d’application y compris pour des personnes en bonne santé qui veulent bénéficier de soins préventifs. Mais est-il respecté ? La liberté ne devient-elle pas théorique quand les décisions sont prises non pas parce qu’on les choisit en conscience mais parce qu’on n’en peut plus de vivre dans la peur, parce qu’on ne supporte plus les restrictions des libertés ou, comme on vient de l’indiquer, parce qu’on veut échapper aux pressions subies ? Dans de telles conditions, ne devrait-on pas plutôt parler de consentement forcé ?

               Quant aux informations fournies pour se faire une opinion, sont-elles toujours loyales ? La loi précise au § 2 du même article 8 quelles informations doivent être transmises : elles portent sur « l'objectif, la nature, le degré d'urgence, la durée, la fréquence, les contre-indications, effets secondaires et risques inhérents à l'intervention et pertinents pour le patient, les soins de suivi, les alternatives possibles et les répercussions financières. Elles concernent en outre les conséquences possibles en cas de refus ou de retrait du consentement (…) ». La loi exige donc que l’on communique au patient ce que l’on peut espérer positivement de la campagne de vaccination, mais aussi ses limites et risques éventuels. Les données officielles fournies par les firmes pharmaceutiques suffiront : elles reconnaissent elles-mêmes de nombreuses inconnues concernant les risques à moyen et long terme, mais aussi à propos de l’efficacité de leur produit dans la durée et par rapport aux variants, et le fait qu’on est toujours en phase d’expérimentation (jusqu’en 2023 ou 24 selon les firmes). Il convient aussi d’informer en toute objectivité et avec la même rigueur critique sur les alternatives préventives et curatives existantes. Manifestement il arrive qu’on ne prenne pas toujours le temps de s’assurer que ces informations sont connues de chacun partout où la vaccination est organisée. Chaque fois que c’est le cas, c’est l’article 8 de la loi sur le droit des patients qui est violé.

               Enfin,  il n’est sans doute pas inutile de rappeler que la vaccination, comme tout autre soin, relève de la vie privée (même si son but est d’ordre public). Personne, pas même au travail l’employeur, ne peut forcer quiconque à déclarer s’il est ou pas vacciné. Ne doit-on dès lors pas s’étonner qu’en certains lieux, tout est fait pour connaitre la position de chacun et critiquer publiquement celles et ceux qui sortiraient du rang ? Quant aux données personnelles collectées à l’occasion de la campagne de vaccination, elles sont également soumises à  la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel  (RGPD). Il est prévu dans cette réglementation que l’usage qui sera fait de ces données doit être expliqué et recevoir l’approbation de chaque citoyen concerné. A entendre des personnes vaccinées, il semble que là aussi la communication ne soit pas toujours optimale.

               On peut être convaincu par la nécessité impérieuse de la campagne de vaccination. On peut y voir une forme de solidarité vis-à-vis des plus faibles et l’exercice d’un devoir civique. Mais rien n’autorise que certains compromettent ces nobles motivations en bafouant ouvertement les principes du consentement éclairé et du respect de la vie privée. Quant à ceux qui refusent de se faire vacciner, quand bien même on ne serait pas d’accord avec eux, rien ne justifie qu’ils soient culpabilisés, stigmatisés ou menacés. Que vaut en effet la morale de la solidarité ou le civisme que l’on prétend défendre si en leur nom, on justifie la contrainte, le harcèlement et l’exclusion de ceux qui souvent ne s’opposent pas au principe de la vaccination mais privilégient d’autres réponses et donc d’autres formes de solidarité pour faire face à la crise actuelle ? Après tout, chacune ayant ses limites, c’est peut-être la multiplication des approches qui nous donnera la victoire.