Le débat entourant la loi sur l’avortement : la nécessité de préserver les droits des femmes, les convictions et la démocratie. Stéphanie Wattier, Professeure à la faculté de droit de l’Université de Namur

Être constitutionnaliste, d’un côté, et spécialisée dans les questions de droit et genre, de l’autre côté. Voilà une position qui suscite un certain questionnement dans mon chef, au regard des récents événements liés au vote de la proposition de loi modifiant les conditions d’accès à l’interruption volontaire de grossesse, qui dépasse d’ailleurs le seul champ du droit.

La plupart d’entre nous se souvient du « cas de conscience » du Roi Baudouin lorsqu’après le vote de la Chambre des représentants et du Sénat en mars 1990, était venu pour lui le moment sanctionner la loi, c’est-à-dire de marquer son accord en sa qualité de troisième branche du pouvoir législatif. Dans une lettre adressée à son Premier Ministre – Wilfried Martens à l’époque –, Baudouin expliqua qu’il ne souhaitait pas, pour des raisons de conscience, être associé à une telle proposition de loi. Dans sa lettre, le Roi écrivait aussi : « Par contre, je comprends très bien qu’il ne serait pas acceptable que par ma décision, je bloque le fonctionnement de nos institutions démocratiques. C’est pourquoi j’invite le Gouvernement et le Parlement à trouver une solution juridique qui concilie le droit du Roi de ne pas être forcé d’agir contre sa conscience et la nécessité du bon fonctionnement de la démocratie parlementaire » (sic.).

Cet extrait de la lettre est généralement repris comme exemple pour confirmer qu’en droit constitutionnel belge, il n’y a pas de place pour un droit de veto royal. Le Premier ministre y est invité à trouver une solution juridique pour que la loi soit tout de même sanctionnée. Cette solution – dont on se souviendra également – fut celle d’une « entourloupe constitutionnelle » imaginée par le Premier ministre Martens, consistant à placer le Roi dans l’impossibilité de régner, par le biais de l’actuel article 93 de la Constitution – à l’époque 82 – et de laisser le Conseil des ministres sanctionner le texte à sa place.

Cet extrait de la lettre du Roi révèle, à mon sens, deux autres réalités fondamentales.

Premièrement, le point de vue sur l’interruption volontaire de grossesse est éminemment – et intimement – propre à chaque individu. Il dépend de nombreux facteurs qui dépassent largement les champs juridique et politique. 

Deuxièmement, la position d’une seule personne sur l’IVG ne saurait être un motif pour bloquer le fonctionnement des institutions démocratiques.

La dépénalisation partielle de l’interruption volontaire de grossesse intervenue par la loi du 3 avril 1990, puis sa modification par la loi du 15 octobre 2018, constituent d’indéniables avancées en matière de protection des droits des femmes, qui ont été adoptées dans le respect des principes démocratiques. Puisse-t-il en aller de même lors du vote de la proposition de loi actuellement sur la table du Parlement.