NamurDroit
Les régulateurs des industries de réseau : entre efficacité et légitimité
Conclusions de colloque
Bruxelles (IBPT), 8 décembre 2022
Marc Nihoul,
Professeur UNamur et avocat
Juste quelques réflexions pour conclure cette après-midi d’étude particulièrement riche, consacrée à la présentation d’un ouvrage portant sur le thème des régulateurs des industries du réseau publié dans la Bibliothèque de droit public chez Larcier (dir. E. Slautsky, P.-O. de Broux, A. Desmedt et Jean-François Furnémont).
Difficile de proposer une analyse transversale à partir des exposés car « analyse transversale sur analyse transversale ne vaut » : l’ouvrage, je vous le rappelle, est déjà une analyse transversale sur quelques thèmes génériques en rapport avec la gouvernance et le statut juridique des régulateurs belges des industries de réseau.
En revanche, deux critères d’évaluation avaient été fixés d’emblée par les régulateurs de cette après-midi d’étude : l’efficacité et la légitimité de l’action des régulateurs. L’action des régulateurs doit être efficace, certes, mais cette efficacité n’est pas suffisante pour la et les rendre (les régulateurs) légitimes.
Encore faudrait-il par ailleurs convenir de quelle légitimité parle-t-on précisément à l’heure où la désobéissance civile, par exemple, revendique cette parure pour défier le droit…
Je vais être frontal mais je crois sincèrement qu’il y a, derrière les termes choisis pour annoncer et structurer le sujet d’aujourd’hui, une sorte de langage non verbal, qui témoigne d’une forme de honte voire d’un syndrome de l’imposteur et qui touche à une sorte de péché originel des régulateurs : un état de péché dans lequel se trouverait le régulateur du fait de sa naissance (son origine) et de son indépendance…
- je rappelle tout de même qu’il a été imposé par le droit européen dont le caractère démocratique est parfois discuté ;
- il ne figure pas comme tel dans la Constitution (pas plus que la décentralisation fonctionnelle) laquelle organise en principe tous les pouvoirs ;
- il n’est pas vraiment démocratique dans la mesure où il n’est pas élu (même si une certaine influence parlementaire reste possible) ;
- pire encore : la régulation des industries de réseau n’existe que parce que la libéralisation existe et nécessite une régulation.
Or, par les temps qui courent, la libéralisation n’a pas bonne presse, c’est le moins que l’on puisse dire. La libéralisation est même désignée par certains comme la grande responsable de la crise climatique seulement naissante, et l’on entend dans les réseaux - sociaux et médiatiques cette fois –
1° qu’il faut changer de paradigme et passer de la croissance à la sobriété, ce qui n’est peut-être pas compatible avec la concurrence ;
2° qu’il faut abandonner la contractualisation et revenir à la puissance publique, le changement ne pouvant venir que de l’autorité légitime, c’est-à-dire celle choisie par les citoyens… de préférence en dehors des partis politiques… - on en viendrait presque à réclamer un régime fort…
A cet égard, je ne résiste pas à observer au passage que les récentes crises sanitaire et géopolitique (la guerre) semblent montrer que les régimes forts – qui conduiraient peut-être à se passer des régulateurs indépendants - ne sont pas si efficaces…
Regardez la Chine avec le coronavirus, la Russie avec la guerre…
Par ailleurs, ce n’est pas la libéralisation en soi qui a mené à la situation actuelle, mais bien le comportement de l’humain dans le cadre de la libéralisation. Or, un comportement, cela se régule, dans une certaine mesure… ce n’est pas aux régulateurs de réseau que je vais l’apprendre. L’une des missions des régulateurs n’est-elle d’ailleurs pas de ménager la concurrence avec la protection de l’environnement ?
Les régulateurs peuvent être des acteurs de changement du comportement des industries de réseau vers plus de sobriété, dans le cadre démocratique ; un sérieux coup d’accélérateur est attendu par la population à cet égard, mais il reste à déterminer dans quelle mesure l’indépendance des régulateurs leur permettrait de prendre seuls le taureau par les cornes, au nom de l’intérêt général… non sans une certaine légitimité sociétale de l’ordre de celle qui fonde la désobéissance civile. La balle est dans votre camp. La bonne nouvelle, c’est que la protection de l’environnement n’est pas incompatible avec la concurrence à condition qu’elle en soit un véritable paradigme.
Tel n’était pas l’objet de l’après-midi d’études, lequel était focalisé sur l’organisation des régulateurs belges et leur contrôle. Car tels sont les deux vecteurs organiques de légitimité annoncés, si je relis le programme entre les lignes… l’organisation et le contrôle.
L’organisation externe, d’une part, avec deux questions importantes :
- 1° l’indépendance des régulateurs belges, par rapport à laquelle les attentes européennes et belges semblent contradictoires ?
- 2° le modèle sectoriel développé depuis 1990 (autant de régulateurs que de secteurs régulés) doit-il être revu ? doit-on envisager des régulateurs multisectoriels ?
L’organisation interne, d’autre part, avec la question des fonctions exercées et de leur éventuelle séparation.
La même summa divisio était proposée en ce qui concerne le contrôle, d’abord interne au sein des régulateurs, ensuite externe avec la Cour des marchés.
- L’indépendance des régulateurs a d’abord été analysée par Yseult Marique et Emmanuel Slautsky.
Une indépendance à l’égard des acteurs économiques qu’ils sont chargés de réguler – c’est évident pour des motifs de libéralisation et de concurrence effective – mais aussi par rapport aux autres pouvoirs publics, à partir de 2009, même si ceux-ci ne sont pas actifs sur le marché considéré. L’objectif est, d’une part, de garantir l’impartialité et la stabilité de la régulation pour augmenter la confiance des investisseurs et des opérateurs économiques concernés (ce qui est bon pour les investissements et la concurrence) et, d’autre part, d’augmenter l’effectivité du droit européen que les Etats ont la fâcheuse tendance de sacrifier sur l’autel des besoins nationaux (le récente crise énergétique l’a encore montré récemment). Il y a, autrement dit et sans nous voiler la face, une certaine méfiance à l’égard du politique au niveau national (le plus proche de l’activité considérée), laquelle ne s’explique pas seulement par des raisons historiques liées à la libéralisation d’un service autrefois organiquement public ; peut-être davantage même pour des raisons humaines, tout simplement, liées à l’inclinaison naturelle de l’humain pour le pouvoir, en l’occurrence le pouvoir d’influence sur une activité qui se déroule sur le territoire, à proximité, et dans l’intérêt de ceux et celles auxquels il se sent appartenir …et qui demandent d’intervenir spécialement en période de crise… (il faut tout de même reconnaître qu’entre l’intervention politique et l’attente du citoyen à l’égard du politique il y a parfois une feuille de cigarette…)
Une telle indépendance ne peut toutefois être absolue, elle ne peut être que relative, puisqu’elle s’inscrit dans un cadre législatif et réglementaire défini par le parlement et le gouvernement, seuls soumis au suffrage. L’indépendance rime en réalité avec autonomie (ce qui ne signifie ni arbitraire ni illégalité)- autonomie dans la prise de décisions, en matière de personnel et de direction, de budget et de moyens, ce qui n’empêche pas une certaine collaboration et un certain contrôle (pour garantir la légitimité), mais exclut un contrôle de tutelle et encore plus un contrôle hiérarchique (ce qui ouvrirait la porte à une influence politique). La participation directe du citoyen est par ailleurs favorisée pour une plus grande légitimité.
Iseult et Emmanuel nous ont montré, en tous cas, que l’indépendance des régulateurs a été gagnée progressivement et qu’elle n’est pas encore parfaite – peut mieux faire, Royaume de Belgique en particulier… il n’y a pas qu’en matière d’industrie de réseau que l’intervention dans la désignation des organes de direction est un sport national ; il en va de même, notamment, en ce qui concerne les mandats dans la fonction publique en général - tous niveaux de pouvoirs confondus, alors précisément que c’est ce que l’on voulait éviter…
Il y aurait trois raisons à cela :
- 1 la sauvegarde des intérêts publics et privés établis, notamment les intérêts financiers que l’Etat a conservé dans les opérateurs historiques des industries de réseau ;
- 2 la croyance selon laquelle la régulation de l’économie doit se faire par des autorités élues politiquement responsables devant le parlement (cette croyance est collective, comme en témoigne encore l’actualité, l’Etat étant tenu responsable de l’envolée des prix de l’énergie de même que du coût de la vie en général) ;
- 3 la tradition néo-corporatiste de régulation de l’économie cul et chemise avec les partenaires sociaux des partis politiques qui régnait avant la libéralisation : un effet d’attente existe aussi à cet endroit.
- De l’indépendance à la séparation des pouvoirs il n’y a qu’un pas.
Cédric Jenart nous a montré à quel point le transfert d’une compétence normative aux régulateurs indépendants pouvait être illisible à l’aune de la séparation des trois pouvoirs traditionnellement consacrée en droit constitutionnel belge et comparé. En définitive, les régulateurs forment-ils un quatrième pouvoir alors même que les fonctions inhérentes aux trois pouvoirs traditionnels sont mêlées dans les mains des régulateurs ? Ce n’est pas un hasard si l’expression quatrième pouvoir est, dans le langage commun, déjà utilisée pour désigner tantôt le pouvoir local (communes et provinces) tantôt les médias (tous les moyens de communication qui peuvent servir de contre-pouvoir face aux trois pouvoirs incarnant l'État)… Il y a de la concurrence, autrement dit, pour décrocher cette quatrième place sauf qu’il ne s’agit pas d’un pouvoir à proprement parler – une quatrième fonction – en l’occurrence, mais bien d’une sorte d’Etat dans l’Etat, regroupant toutes les fonctions ou presque, spécialisé dans un domaine particulier et compétent pour l’ensemble du territoire concerné.
Après tout, le principe de la séparation des pouvoirs ne limite ceux-ci ni à une trilogie (ils peuvent être plus nombreux) ni aux fonctions étatiques identifiées par Montesquieu : créer les règles, concrétiser les règles et résoudre les conflits. Ne pourraient-elles être mélangées pourvu d’en restreindre le champ d’application matériel par exemple, en termes de technicité ?
A défaut d’un fondement constitutionnel clair, que tout le monde souhaite depuis belle lurette, il revient toutefois à la Cour constitutionnelle de préciser davantage en quoi le transfert d’une compétence normative technique aux régulateurs ne porte pas atteinte à l’unicité du pouvoir réglementaire ou encore de l’office de la section de législation du Conseil d’Etat, ce qui en l’état et sous réserve d’un article 34 pourrait se faire en rappelant le principe de conformité aux normes supérieures, à moins que la compétence exclusive ne justifie de considérer une interdépendance au-delà de l’indépendance (une interdépendance dont je vous avoue ne pas percevoir en l’état les contours précis).
Le problème, avec les régulateurs, c’est qu’ils cumulent les fonctions… des fonctions qui touchent à tous les pouvoirs, si je puis dire : réglementation, consultation, décision individuelle, contrôle, sanction, règlement de conflits… au point de leur donner tous les pouvoirs ? L’argument est parfois retenu pour éviter une trop forte concentration, fut-ce dans un secteur très particulier. Mais Cédric nous a définitivement convaincu avec l’exemple de la balance qui penche finalement très peu du côté des régulateurs compte-tenu du champ d’application des fonctions exercées.
Le temps de l’interaction ‘en mode collaboratif’ est peut-être venu avec des acteurs nantis de tous les pouvoirs mais dans un secteur déterminé seulement… et peut-être une séparation des fonctions au sein même des régulateurs pour plus de distance et d’impartialité quand le régulateur traite de plusieurs secteurs en même temps ? Cette question-là mérite d’être creusée davantage.
- En dépit des craintes déjà exprimées à l’égard des régulateurs sectoriels en Belgique, certains ont invité aux voyages - on reconnaît bien là les ‘économistes’ - et se sont mis à rêver à un autre modèle qui concentrerait davantage encore les pouvoirs au sein d’une super-autorité à l’espagnole ou à la hollandaise regroupant régulation et concurrence au sein d’une agence unique,… ou d’une autorité régulatrice multisectorielle à l’allemande à côté de l’autorité de la concurrence, le tout au nom de l’efficacité, ce qui imposerait en Belgique un mouvement d’intégration des régulateurs sectoriels existants. ….
Après un état des lieux de la régulation en Belgique et une étude comparée des modèles existant ailleurs, Jeroen De Ceuster, Frank Naert et Bertel De Groote lancent la balle dans le camp politique avec une série de recommandations, non sans avoir souligné que comparaison n’est pas raison et que les solutions retenues ailleurs ne sont pas transposables comme telles en Belgique. Tout est une question de choix et aucun système n’est idéal.
Une plus grande intégration – qu’elle soit horizontale intersectorielle ou verticale avec la coopération des autorités à chaque niveau de pouvoir jusqu’à l’union européenne - contribue probablement à l’efficacité de l’autorité[1], mais comporte des risques pour l’indépendance de cette autorité et la spécificité de chaque activité (la tendance irait à l’uniformisation). Or, choisir c’est renoncer… sachant que chaque modèle correspond à une vision, c’est-à-dire une conception de la régulation, certes, mais aussi de la concurrence et de la protection des consommateurs, et de la relation de ces trois éléments entre eux… sachant aussi qu’il est plus facile de construire un modèle multisectoriel dès le départ que de fédérer (pour ne pas dire intégrer) a posteriori des régulateurs sectoriels déjà établis (la résistance au changement est souvent source d’inertie).
- L’une des recettes de la séparation des pouvoirs est de prévoir un pouvoir de contrôle – un véritable pouvoir -, de préférence externe et à la fois préventif et curatif.
Organiser le contrôle des régulateurs n’est pas une marque de défiance à l’égard de ceux-ci. C’est la contrepartie de la parcelle d’autorité exercée par lesdits régulateurs, ni plus ni moins. C’est le prix de la légitimité, en quelque sorte…
Certes, les régulateurs doivent être indépendants, mais des mécanismes dans l’exercice du contrôle permettent de ménager ce pouvoir d’appréciation des régulateurs, notamment le contrôle marginal, en manière telle que – et cela peut paraître paradoxal mais- plus les régulateurs sont indépendants plus un contrôle est utile et nécessaire : un contrôle respectueux de l’indépendance, cependant.
Le contrôle est généralement double en matière administrative : interne et externe, sachant que le contrôle interne inclut parfois celui d’un autre organisme.
Marc Oswald nous a entretenu du contrôle interne et passé en revue de la manière la plus poétique qu’il soit, tel un observateur externe qui ne contrôle pas tout (mais n’est-ce pas précisément la limite du contrôle externe ?), il a passé en revue les mécanismes juridiques existants visant tous les organismes publics et personnes morales relevant des principales collectivités politiques du pays, qu’ils soient prévus par une disposition générale ou par le texte créant le régulateur : audit interne, contrôle administratif et budgétaire, contrôle comptable et contrôle de gestion,… notamment par la Cour des comptes, seul contrôle imposé à tous les régulateurs en dehors duquel il n’existe pas d’obligation générale de procéder à un contrôle interne.
L’exercice était ingrat mais a permis de tirer les deux enseignements suivants à mon sens : le contrôle interne est un art et il nécessite des moyens.
Il doit être réel, rigoureux et suffisant pour améliorer le fonctionnement de l’organisation et contribuer à une régulation efficace. Mais il ne doit pas être étouffant, fastidieux et excessif pour se justifier à lui-même : il faut trouver le bon équilibre, la combinaison vertueuse pour éviter les effets pervers.
Des procédures écrites doivent être prévues, des objectifs avec indicateurs doivent être fixés pour permettre une véritable évaluation et une amélioration continue de la qualité de la régulation - car l’objectif du contrôle interne n’est pas de sanctionner, il est de piloter - mais encore faut-il que le destinataire des rapports, notamment le Parlement, dispose des moyens humains suffisants pour leur donner une suite utile… car une évaluation qui reste lettre morte ne sert à rien voire est contre-productive.
- Le contrôle externe, quant à lui, est plus contraignant, porte sur les décisions prises et vise à garantir la bonne gouvernance de la régulation - l’expression est à la mode et permet de donner du sens à la légalité qui n’est pas seulement de respecter la loi pour la loi mais parce que la loi poursuit des objectifs louables et légitimes – c’est ce que Xavier Taton et Philippe Vernet appellent la fonction de responsabilisation du contrôle externe, lequel est résolument juridictionnel.
C’est la Cour des marchés, cette section spécialisée de la Cour d’appel de Bruxelles, qui est chargée du contrôle externe des décisions prises par les régulateurs étudiés, ce qui nécessitait une expertise pointue et particulière, notamment en droit économique, financier et des marchés.
Mais la plus belle Cour du monde ne peut donner que ce qu’elle a, en termes de moyens humains d’abord, mais aussi de volume de contentieux ensuite, car les deux sont liés – je cite car j’ai adoré l’expression polissée - « le nombre de recours introduits est lui-même partiellement influencé par le caractère plus ou moins approfondi du contrôle qui est exercé sur recours » (fin de citation).
Appelée à statuer comme en référé dans la plupart des cas, en quatre mois tout au plus selon le modus operandi pragmatiquement retenu (mais peut-être est-ce trop rapide, selon Cédric Jenart ?), mes estimés confrères opinent, au terme d’une analyse approfondie de la jurisprudence, que la Cour des marchés ne va pas assez loin dans son analyse économique des dossiers et se cantonne encore trop souvent au domaine de la légalité (je préfère formuler le constat de la sorte plutôt que de distinguer le fond de la forme car la légalité comporte un examen au fond des décisions, mais peut-être pas encore sous l’angle économique en termes de cohérence et de rationalité des analyses). La Cour des marchés n’aurait-elle pas encore réalisé qu’elle était différente des autres et pas seulement spécialisée, à moins qu’il ne s’agisse d’une question de moyens ?
Certes, la Cour offre un droit de recours effectif de légalité mais elle n’irait pas jusqu’au bout de la logique économique et financière du contentieux alors précisément qu’un contrôle sur ce point contribuerait à garantir la légitimité de l’action des autorités de régulation, spécialement en cas de validation, car les décisions qu’elles prennent sont fondées sur leur analyse.
Mais le temps passe et le moment est venu de conclure… la conclusion… même si les réponses apportées sont loin d’être définitives…
Il y va, en matière d’ouvrage scientifique, comme en matière de chanson. Une fois qu’il est édité, il n’appartient plus à ses auteurs mais bien aux lecteurs qui l’utilisent, se l’approprient et le font vivre ! Merci aux auteurs de ce magnifique ouvrage de l’avoir écrit mais aussi de l’avoir interprété ce jour. A vous, désormais, de l’interpréter à votre tour, en vos titres et qualités.
PLAN DE L’OUVRAGE
- Les régulateurs belges des industries de réseau : contours d’une indépendance sous pression
par Yseult MARIQUE, Professeure à la University of Essex et Emmanuel SLAUTSKY, Professeur à l’Université libre de Bruxelles - Cumul des pouvoirs et organisation interne des régulateurs indépendants belges (des industries de réseau) : vers une séparation accrue des fonctions
par Cédric JENART, Professeur à la Universiteit Antwerpen - Les mécanismes de contrôle interne au sein des régulateurs belges des industries de réseau : des dispositifs assurant la qualité de la régulation ?
par Marc OSWALD, Premier président du Conseil du Contentieux des Étrangers - Le contrôle juridictionnel exercé par la Cour des marchés : une analyse de l’impact sur la gouvernance de la régulation
par Xavier TATON, associé au sein du cabinet d’avocats Linklaters et Philippe VERNET associé au sein du cabinet d’avocats deprevernet - Les régulateurs belges des industries de réseau : comment organiser les compétences ?
par Frank NAERT, Professeur émérite à la Universiteit Gent, Bertel DE GROOTE, Professeur à la Universiteit Gent et Jeroen DE COSTER, D
[1] Ne fut-ce que grâce à une économie d’échelle…
Comme on fait son lit on se lève !
Discours prononcé lors de la diplomation des étudiant.e.s de la cohorte 2021-22 (bachelier en droit)
Mon père disait souvent : « Comme on fait son lit on se couche »…
Dans sa forme ancienne, l’expression française est encore plus moralisatrice et judéo-chrétienne : « qui fait mal son lit, mal couche et git ». « Si tu fais mal ton lit, tu dors mal », autrement dit, puisque ton lit est mal fait.
Dans sa forme belge, le message devient surréaliste : « Comme on la brasse, on la boit ! »…[1]
Cette idée simple mais forte, on le retrouve en réalité dans de nombreuses règles juridiques, directement et indirectement, et pour cause : il faut assumer les conséquences de ses actes… c’est tout l’enjeu de la responsabilité, civile, pénale, sociale, politique, même administrative aujourd’hui, et j’en passe !
Avec le recul, il y a une autre manière, plus positive, de comprendre l’expression « Comme on fait son lit on se couche »… spécialement si l’on insiste sur la préparation du lit plutôt que sur la manière dont on se couche : il ne s’agit plus seulement d’assumer les conséquences de ses actes mais bien d’anticiper celles-ci, de rendre possible une situation ex ante au moment de faire son lit, ce qui permet d’étendre le champ des possibles : tout devient possible pour celui qui le veut ; autrement dit, qui veut peut… Vous me voyez venir…
Mais que veut-on, au juste, et surtout qui le veut ? Vous aurez noté que l’expression ne se décline pas à la première ni même à la seconde personne du singulier, mais bien à la troisième avec le pronom personnel indéfini « on »… que nous définirons tout à l’heure…
Voici donc le plan de mon propos ce soir, en trois titres, pour célébrer votre premier diplôme : le lit, le on et le couché.
Titre premier : le lit
Il y a trois ans – un peu plus peut-être – vous avez choisi la Faculté de droit de l’Université de Namur, et vous avez fait le bon choix.
La Faculté vous a donné des bases solides dont vous avez pris conscience ces dernières semaines en fréquentant d’autres auditoires.
C’est que la première couche est toujours la plus importante, celle du primaire en peinture, des fondations en construction, des racines pour ceux qui aiment les arbres.
A ce titre, la faculté de droit de l’UNamur est votre alma mater- votre mère nourricière – pour toujours !
Elle est votre lit, tiens donc ! que vous avez appris à faire au carré et ce bagage juridique exceptionnel fait de vous désormais de magnifiques droïdes namurois !
Ce n’est pas moi qui le dit, mais bien vos professeurs actuels – souvent – ou encore d’autres étudiants issus d’autres universités : les droïdes namurois se distinguent des autres car ils ont ce quelque chose en plus qui ne tient pas seulement à leur formation, mais également à leur esprit.
Un esprit familial et convivial grâce auquel l’on peut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux !
Un supplément d’âme qui nous habite dès le premier jour et qui plus jamais ne nous quitte…
La preuve : vous êtes presque toutes et tous là ce soir ! Et ce n’est pas seulement pour les zakouskis…
On va pas se mentir. Ça n’a pas été facile tous les jours…
Rappelez-vous
D’abord, il y a eu ce foutu covid19 qui paraît déjà si loin mais qui nous a confisqué le bonheur d’être ensemble puis de se voir à visages découverts depuis le mois de mars de la première année de bachelier jusqu’au mois de janvier de la troisième année.
Avec le recul, j’ai l’impression qu’on ne s’en est pas si mal sortis et que la magie namuroise a opéré malgré le distanciel.
Mais qu’est-ce qu’on en a bavé sur le moment même… après ce premier printemps quelque peu surréaliste durant lequel le beau temps nous avait donné l’illusion que cela n’allait pas durer…
Ce fut pourtant le cas, avec ces longs moments faits de présence mais à distance, faits d’écran, de fatigue, d’insomnies, de pertes de repère entre le jour et la nuit, entre les cours et netflix, entre teams et instagram, entre webcampus et web tout court, entre kahoot et tiktok…
Des moments de solitude, aussi, pour certains…
car nous n’étions pas tous confinés à la même enseigne, que ce soit dans les conditions de vie, d’étude et d’examen
que ce soit dans notre corps et dans notre tête, tout simplement
car les seuils de résistance sont variables, les parcours de vie sont différents, parfois semés d’embuches, par le plus grand hasard de la vie
ce soir, nous avons beau être toutes et tous rassemblés, le vécu de la réussite de chacun reste personnel, son goût différent, et l’émotion d’autant plus forte pour celui ou celle – étudiant ou proche – qui le sait… qui sait par quoi il ou elle est passé… échec, maladie, accident, séparation, agression, situation familiale, décès…
L’année passée, la diplomation avait les allures d’un bal masqué offert à deux cohortes consécutives car rien n’avait été possible en 2020. Nous avions osé faire preuve d’imagination pour permettre une réception autour de bulles formées autour de manges debout, selon un protocole très strict qui ne nous avait pas empêchés de passer une excellente soirée.
Ce soir, nous sommes entièrement libres ! ou presque…
Les masques sont tombés et nous sommes entièrement présents les uns aux autres sans aucune restriction (enfin quand même sur l’alcool…) et nous pouvons mesurer à quel point le visage est vérité et la présence essentielle dans nos vies, tout particulièrement en matière d’enseignement, dans la relation étroite qui se noue entre l'étudiant et l'enseignant, entre l'étudiant et l'étudiant et entre l'enseignant et l'enseignant…
Certes, ce soir, ce n’est pas une soirée pyjama, comme pourrait vous y faire penser l’expression introductive, mais j’ai comme l’impression en voyant vos mines réjouies que vous revenez à la maison pour le week-end et retrouvez votre lit académique pour vous y lover tant et plus…
Et ça tombe bien car pour la circonstance votre lit est déjà fait !
Titre deux : le « on » (le pronom « on ») –qui a fait son lit (et qui se couche) ?
Vous, bien sûr, mais pas seulement…
C’est une évidence : vous n’étiez pas seuls pour faire votre lit. Ce fût un travail d’équipe…
Commençons par vous car vous étiez bien sûr les « premiers acteurs de votre formation », et donc de votre réussite !
BRAVO A CHACUN.E D’ENTRE VOUS
Vous avez fait preuve d’une résilience très particulière et développé des facultés d’adaptation, physiques et mentales, sur lesquelles vous allez pouvoir compter durant toute votre vie professionnelle mais aussi personnelle…
Votre réussite, vous la devez avant tout à vous-même !
Dans des conditions normales, ce n’est déjà pas facile d’assister aux 2500 heures de cours et TP, de digérer les 20.000 pages de syllabus et 2000 pages de code en trois ans et de réussir les 38 examens oraux et/ou écrits, sans oublier les présentations orales… et sans compter que pour les plus gourmands, c’est parfois double ou triple dose…
Alors, dans le contexte qui a été le vôtre, je trouve que vous pouvez vous tourner les uns vers les autres et vous congratuler réciproquement : vous méritez vraiment des applaudissements !
Votre réussite, vous la devez avant tout à vous-même !
Mais vous la devez aussi à d’autres, par la magie de la solidarité.
Quels beaux moments de solidarité nous avons vécus !
La solidarité familiale, d’abord, de vos parents ou de vos proches qui vous ont soutenu à chaque instant, d’une manière ou d’autre autre, avec qui vous avez vécu dans une promiscuité jusqu’ici jamais égalée…
Il fut un temps où ils pouvaient souffler, les pauvres, ne fut-ce que la semaine ou un soir, ou ne fut-ce que le jour de l’examen, mais là tout se passait à domicile, dans la même maison, parfois dans la même pièce, sur le même bureau, sur le même ordinateur,… sur le même examen…
Une petite pause ? et si on allait se promener…. ensemble…
Du matin au soir, du soir au matin, 7 jours sur 7, et davantage encore…
Jamais le soutien familial et réciproque, il faut quand même le dire, n’aura été aussi important !
Alors, ce soir, je vous invite à vous lever et vous tourner vers tous ces proches qui ont contribué à votre réussite et qui méritent aussi nos applaudissements…
Votre réussite, vous la devez aussi à la solidarité du corps professoral, car le personnel administratif, scientifique et académique de la faculté n’a vraiment pas ménagé ses efforts en cette période particulière, (c’est le moins qu’on puisse dire), pour rendre l’enseignement virtuel et à distance aussi personnalisé, interactif et individualisé que possible, en y laissant parfois comme vous une partie de leur santé.
Merci pour votre créativité et pour votre énergie, jusque dans la mise en place de nouveaux programmes en pleine crise, notamment avec le programme d’immersion trilingue 2+2+1.
Merci d’aimer votre travail et de vous rendre disponibles et proches des étudiants, convaincus que vous êtes que l’enseignement à Namur est d’abord et avant tout une aventure humaine dans laquelle l’élève a besoin de compter pour le professeur pour pouvoir progresser et le professeur a besoin de compter pour l’élève pour s’épanouir.
Ce soir, je n’oublie pas non plus les tuteurs et les délégués, qui n’ont eu de cesse d’intercéder pour tous et pour chacun sans jamais compter, tous réseaux sociaux confondus ! ils ont eu la vie dure, doublement …
Pour tout cela, je vous invite à vous lever et vous tourner vers vos enseignants car ils méritent aussi ce soir des applaudissements nourris !
J’en viens alors à mon
Titre trois : le couché
Ne vous y trompez pas. Le proverbe est trompeur car en réalité ce n’est pas le couché qui importe, mais bien le levé, après avoir retrouvé des forces.
Comme on fait son lit on se couche, certes, mais pour mieux se lever ensuite !
Comme on fait son lit on se lève, autrement dit !!!
Et quand le juriste se lève, c’est en principe contre l’injustice, c’est-à-dire pour la justice, pour les droits et les libertés, pour la démocratie et pour l’Etat de droit !
Oui mais… Le métier de juriste est vieux comme le monde. Comment expliquer, alors, l’état dans lequel celui-ci se trouve ?
Car le moins que l’on puisse dire c’est que, côté défis, nous sommes servis !
- la paix en Europe est à refaire ;
et pendant ce temps-là les obus éclatent à quelques milliers de kilomètres…
- le climat se dégrade et génère des crises sans précédents : sanitaires, économiques, sociales, démographiques, énergétiques,…
et pendant ce temps-là la coupe du monde se déroule au Qatar…
- le numérique bouleverse l’économie mais semble détruire l’humanisme
et pendant ce temps-là l’activité sur les réseaux sociaux explose, y compris en votre honneur… (non, ne prenez pas votre smartphone…)
- les inégalités sociales se creusent
et pendant ce temps-là on parle de redistribution des richesses et de protection des personnes en situation de vulnérabilité
- la démocratie se délite avec le retour des extrêmes
et pendant ce temps-là de nouveaux scandales éclatent comme celui de Publifin ou du Parlement wallon … comme si le fossé n’était pas suffisamment creusé entre le citoyen et la politique traditionnelle
Face à ces 5 défis, vous avez désormais une arme : votre premier diplôme universitaire !
Alors certes, ce n’est ni un bazooka ni une baguette magique, d’autant qu’il n’est pas encore complet
Mais c’est tout de même déjà une « arme de construction massive » pour celui qui veut bien s’en servir.
Pour tout vous dire, je suis un peu mal à l’aise de vous exhorter ainsi à soigner le monde alors que ma génération et les précédentes semblent vous l’avoir légué à leur tour dans un bien mauvais état…
Qui suis-je, autrement dit, pour vous faire la leçon ?
En même temps, je ne résiste pas à penser qu’aucun d’entre nous n’a consciemment souhaité qu’il en aille ainsi… ni même songé y avoir participé dans une certaine mesure …
Qui de nous n’a pas l’impression d’être pris dans un ensemble plus vaste qui nous dépasse, ce fameux « système » dont nous nous sentons prisonniers… ?
Et pendant ce temps-là les comportements changent un peu certes, mais trop peu et trop lentement…
Et le système devient le prétexte tantôt à l’immobilisme, tantôt à une mobilité douce (si je puis me permettre), à un changement trop doux.
Pire, il arrive même que les mauvaises décisions soient parfois prises en période de crise… Il faut quand-même se souvenir qu’Hitler a été élu sur la base d’un mécontentement social et économique et d’une aspiration au changement.
Quant aux sociétés humaines, elles ne sont pas nécessairement promises au progrès. La preuve avec le génie romain qui a quand-même été suivi par l’obscurantisme du moyen-âge…
En même temps, il faut se souvenir qu’Hitler n’a pas été élu à l’unanimité, et que le point de bascule, chaque fois qu’il a été atteint, l’a été parce que les opposants – autrefois majoritaires – ne sont pas parvenus à se mobiliser et faire la différence à temps.
Et si la clé de tous les défis qui se présentent était notre capacité à argumenter, convaincre et mobiliser autour des nobles causes ?
Cette capacité fait indiscutablement partie du référentiel de compétences du juriste, en manière telle que votre diplôme décroché aujourd’hui a une valeur collective très particulière.
Il n’est plus seulement une « arme de construction massive », mais aussi une « arme de mobilisation active », avec – cerise sur le gâteau – ce petit supplément d’âme !
Cher.e.s droïdes namurois.es,
Le temps est venu de nous mobiliser davantage et de nous interroger sur ce que nous allons faire dans les années qui viennent avec notre diplôme de droit en poche…
Quel défi allons-nous relever ?
Quel engagement allons-nous prendre ? au nom du droit ? avec le droit ? par le droit ?
Quel citoyen allons-nous devenir ?
Cette question de sens de notre diplôme requiert un moment d’intériorité pour nouer ou renouer avec cette petite voix intérieure, celle qui vous connaît le mieux, tapie au fond de vous-même, la seule à vous permettre un jour de trouver votre aspiration profonde.
Cette question s’adresse à chacun d’entre nous : nouveaux diplômés – bien sûr vous aujourd’hui - plus anciens diplômés (je marche sur des œufs), il n’y a aucune raison de faire une différence. Elle touche au sens de notre vie et au sens de notre diplôme pour la société dans son ensemble, dont nous sommes tous responsables car l’engagement n’est pas le monopole d’un métier.
Après tout, le poids du monde ne repose pas seulement sur les épaules du juriste…
En revanche, je crois sincèrement que le monde manque cruellement de véritables Hommes d’Etat (il faudrait dire aujourd’hui humains d’Etat…) ; il regorge au contraire de démagogues, de populistes, voire de nationalistes…
Mais qui sait, peut-être parmi vous y a-t-il un homme d’Etat qui sommeille, que dis-je une femme d’Etat en puissance (la probabilité est en tous cas plus grande) ?
Parmi vous ou… parmi nous ?...
Certains d’entre eux ont été ou sont des droïdes namurois : Jean-Luc De Haene, premier ministre, Koen Lenaerts, président de la Cour de justice de l’Union européenne, Mathias Cormann, secrétaire général de l’OCDE ou encore Emmanuel PLASSCHAERT, bâtonnier du barreau de Bruxelles, pour ne prendre que ces exemples.
Chers amis droïdes,
Ne vous laissez pas distraire par les trois écueils qui vous guettent et pourraient vous détourner de cette aspiration pour le monde : l’argent, le pouvoir et la gloire.
Je ne suis pas en train de vous dire que pour être heureux vous devez être pauvre, n’exercer aucun pouvoir et vous fondre dans la masse.
L’air deviendrait vite irrespirable, dans un monde dirigé par un dictateur flanqué d’une armée de robots en guerre, opprimant les quelques humains encore en vie…
Non : la gloire, le pouvoir et l’argent sont des écueils lorsqu’ils deviennent une fin en soi et une fin personnelle.
A l’inverse, l’argent, le pouvoir et la réputation permettent de mobiliser et de servir de grandes causes ;
La pire chose qui puisse vous arriver, en réalité, c’est de n’avoir aucune cause à défendre, pas d’objectif à poursuivre, pas de valeur à porter.
Car, « Comme on fait son lit on se couche »…
Et un jour il faudra assumer les conséquences de nos actes, accepter le monde que, d’une certaine manière, l’on mérite…
Ce moment n’est toutefois pas encore venu car l’heure n’est pas au couché mais au levé
Car comme on fait son lit on se lève !
Aujourd’hui, tout est possible avec votre excellent diplôme de droit décroché dans une faculté de droit tout aussi excellente !
BRAVO à chacun et chacune d’entre vous
Et soyons ambitieux pour notre monde !
[1] Expressions françaises synonymes : on ne récolte que ce qu’on sème, qui sème le vent récolte la tempête,…
Abattage rituel et bien-être animal : le dilemme cornélien du législateur bruxellois
Stéphanie Wattier, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Namur
Après les Parlement wallon et flamand, c’est au tour du Parlement bruxellois de se pencher sur la question de l’interdiction – ou non – de l’abattage rituel d’animaux sans étourdissement préalable. A cet égard, l’on rappellera d’emblée que le bien-être animal est une matière qui a été régionalisée lors de la Sixième Réforme de l’Etat, ce qui explique les potentielles différences législatives d’une région à l’autre. En effet, là où les législateurs wallon et flamand ont décidé d’interdire tout abattage – même religieux – sans étourdissement, tel n’est pas le cas en Région bruxelloise où les partis politiques sont très divisés sur la question.
Outre les questions « belgo-belges » de répartition des compétences, il faut, en outre, tenir compte des compétences de l’Union européenne, notamment en matière de politique agricole commune. En 2009, l’Union a adopté un Règlement sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort qui, entré en vigueur en 2013, prévoit une possibilité (et donc pas une obligation) d’exception à l’obligation d’étourdissement en cas d’abattage religieux.
Le choix des Régions wallonne et flamande de prohiber l’abattage rituel sans étourdissement préalable a récemment été validé par la Cour de Justice de l’Union européenne et par la Cour constitutionnelle. Le recours est, désormais, pendant devant la Cour européenne des droits de l’homme. Il reste que la question est moins prégnante dans ces deux régions car la population de confession musulmane y est beaucoup moins nombreuse qu’en Région bruxelloise.
Toute la difficulté réside dans la conciliation entre, d’une part, la protection du bien-être animal qui est un objectif d’intérêt général de l’Union européenne et, d’autre part, la liberté de religion qui est consacrée par la plupart des instruments de protection des droits fondamentaux.
Pour concilier ces deux enjeux, il nous paraît inutile, de la part du Parlement bruxellois, d’auditionner pléthore d’experts scientifiques car l’ensemble des études scientifiques s’accordent pour considérer que les procédés d’abattage du culte musulman et du culte israélite font souffrir les animaux, en plus de les plonger dans un état de grande détresse lorsqu’ils réalisent qu’ils vont être égorgés. Le problème est que, dans la religion musulmane et la religion juive, il est exigé que l’animal décède du fait de son abattage, et non pas en raison de l’étourdissement préalable, ce qui se produisait parfois avec les anciens procédés d’étourdissement mécanique. Désormais, grâce aux progrès techniques, un procédé d’électronarcose qui est réversible (et donc non léthal) a été mis au point. Il permet de s’assurer que l’animal ne décèdera pas par étourdissement et sera seulement dans un état semblable au sommeil, ce qui fait qu’il ne se rendra pas compte qu’il est abattu et n’en souffrira en principe pas.
Il reste que cette méthode d’électronarcose ne fait pas l’unanimité au sein des communautés religieuses. Si elle semble acceptée par une partie des communautés musulmanes, elle est, en revanche, mal accueillie par les communautés juives qui exigent, en plus, afin que la viande soit casher, que l’animal soit conscient lors de son abattage.
L’on comprend dès lors la perplexité des législateurs : comment concilier bien-être animal et liberté de religion ? Il nous semble que la seule vraie piste de solution est celle du dialogue. Un dialogue entre les décideurs politiques et les représentants des cultes afin que chacun puisse comprendre les inquiétudes de l’autre. Il est difficile d’imaginer que les juifs et les musulmans ne soient pas, eux aussi, préoccupés par le bien-être animal. L’on soulignera également que, depuis 2021, le Code civil reconnaît que les animaux sont dotés de sensibilité. La protection du bien-être animal est non seulement un objectif d’intérêt général de l’Union européenne mais aussi de plus en plus présent dans les législations ces dernières années, à l’instar de l’interdiction de couper les queues des chiens et des chevaux, de l’obligation de stériliser les chats en Région wallonne, etc.
L’on rappellera que le dialogue entre les pouvoirs publics et les représentants des cultes est la solution qui avait été préconisée par le Conseil d’Etat fin 2020 lorsqu’il avait annulé un arrêté ministériel empêchant la tenue de cérémonies religieuses à cause de la pandémie. Un nouvel arrêté avait alors été adopté par le ministre compétent après avoir discuté avec les représentants des cultes reconnus et de la laïcité organisée.
En optant pour le dialogue, le législateur bruxellois se gardera au moins de deux risques : celui de se prononcer sur la légitimité des croyances des communautés religieuses, d’une part, et celui qu’il soit procédé à des abattages clandestins pour contourner les interdictions, d’autre part.