NamurDroit

Derniers articles publiés

La chronique Carta Academica: «Bulles sociales et Covid-19: un réveillon qui fait du bruit», une carte blanche de Nathalie Basecqz et Elise Delhaise dans le journal Le Soir du 19 décembre 2020

S’il le faut, la police sonnera aux portes à Noël ». Telle est la phrase choc de la Ministre de l’Intérieur à la veille des fêtes de fin d’année. Nous ne reviendrons pas ici sur la question de savoir si les services de police ont le droit de s’inviter à la table des Belges la nuit du réveillon de Noël afin de compter le nombre de convives autour de celle-ci. Qu’en est-il, par contre, du prétexte des nuisances sonores évoqué pour surveiller la population ? La problématique soulève trois enjeux fondamentaux : la qualification pénale ou administrative des nuisances sonores et sa conséquence en termes de missions de police, l’exception du flagrant délit et sa portée, ainsi que le risque, non négligeable, de détournement de procédure.

Des questions de procédure

1. Quelle(s) sanction(s) pour un réveillon trop bruyant ?

Les nuisances sonores peuvent faire l’objet soit de sanctions pénales, soit de sanctions administratives.

 

Les bruits ou tapages nocturnes « de nature à troubler la tranquillité des habitants » ont été érigés en contravention. Ils sont passibles, en vertu de l’article 561 du Code pénal, d’une peine d’amende de dix à vingt euros (à multiplier par huit en raison des décimes additionnels) et/ou d’une peine d’emprisonnement d’un à cinq jours. Si les nuisances sonores ont lieu en journée, elles ne sont pas punissables. La constatation d’un tapage nocturne relève des missions de police judiciaire car il s’agit d’une infraction.

Les nuisances sonores peuvent par ailleurs faire l’objet de sanctions administratives sur la base de règlements de police communaux (par exemple, l’interdiction de tondre sa pelouse en dehors de certaines heures déterminées). Dans ce cas, leur constatation vise au maintien de l’ordre public et relève des missions de police administrative.

Les mêmes faits ne peuvent toutefois se voir appliquer qu’une seule sanction, soit pénale, soit administrative.

2. Devez-vous mettre un couvert de plus pour les services de police à votre table ?

Les services de police peuvent-ils pénétrer dans des domiciles privés afin de constater ces nuisances sonores ? Il convient de répondre à la question en distinguant le caractère administratif ou judiciaire de la visite domiciliaire.

Les visites domiciliaires administratives ne sont autorisées que moyennant l’existence d’une menace grave à l’égard de la vie ou de l’intégrité physique de personnes, pour autant que la personne jouissant des lieux donne son consentement ou en fasse la demande ou que la menace soit imminente.

Qu’en est-il dans le cas des nuisances sonores ? Il nous semble difficile d’y voir une menace grave imminente contre l’intégrité physique ou la vie des personnes, excluant dès lors les visites domiciliaires administratives.

Quant aux visites domiciliaires judiciaires ou « perquisitions », elles nécessitent la délivrance d’un mandat par un juge d’instruction. Certaines exceptions sont néanmoins prévues par la loi dont, notamment, le cas du flagrant délit ou crime.

La constatation de la flagrance doit avoir lieu avant de pénétrer dans les lieux. Ainsi, pas question pour les services de police de pénétrer dans les lieux pour ensuite y constater la situation.

3. Les services de police pourraient-ils, sous prétexte de nuisances sonores, passer la porte de votre domicile sans votre consentement ?

Seuls les flagrants délits ou crimes peuvent justifier une perquisition sans mandat. Or, le tapage nocturne constitue, nous l’avons vu, une simple contravention. Les services de police ne peuvent donc pas pénétrer dans les domiciles privés en cas de tapages nocturnes flagrants.

Qu’en est-il du non-respect de la bulle sociale ? On vise ici un délit consistant en le refus ou la négligence de se conformer aux mesures ordonnées en vertu de l’arrêté ministériel du 28 novembre 2020. Les faits sont punissables d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et/ou d’une amende de vingt-six à cinq cents euros (à multiplier par huit en raison des décimes additionnels). Une sanction administrative peut également être appliquée consistant en une amende administrative de 250 euros avec paiement immédiat.

4. L’exception de flagrant délit pourrait-elle justifier que, le soir du réveillon, les services de police forcent la porte de votre domicile afin de contrôler le respect des bulles sociales ?

Il est primordial de rappeler que, pour constater une situation de flagrance permettant alors de pénétrer dans un domicile privé, de simples présomptions ou indices qu’un crime ou un délit pourrait avoir été commis ou pourrait être commis sont insuffisants. Une dénonciation de voisins, le nombre de voitures stationnées sur le parking, le nombre de commandes chez le traiteur, paraissent dès lors bien légers pour justifier une perquisition sans mandat au domicile des Belges.

Des déclarations chocs, tels des feux d’artifice, pourtant interdits cette année

Le Collège des Procureurs généraux s’est finalement réuni à la demande du Ministre de la justice, afin de clarifier les lignes de conduite en termes de constat des « infractions Covid ». Celui-ci a rappelé que même en cas de situation de flagrance, un accord écrit et préalable du Procureur du Roi est requis avant de pénétrer dans un domicile privé (1). Nous ne reviendrons pas ici en détail sur les autres principes directeurs de la Circulaire. Il nous semble néanmoins fondamental d’insister sur les déclarations chocs de certains dirigeants ces dernières semaines, qui interpellent à deux niveaux.

Tout d’abord, des mesures de contrôle sont annoncées, sans même avoir procédé à la vérification de leur légalité. Il ne peut toutefois être ignoré que les restrictions aux droits fondamentaux (notamment le droit au respect de la vie privée) doivent être prévues par la loi uniquement et n’être justifiées qu’en cas de la protection de la santé (dans le cas de la crise du coronavirus). Légalité, légitimité, nécessité et proportionnalité sont les maîtres mots en termes de restrictions des droits fondamentaux.

Ensuite, certains de nos dirigeants utilisent le prétexte des nuisances sonores pour tenter de légitimer le droit de pénétrer dans les domiciles privés. Une telle attitude est peu respectueuse de l’Etat de droit. Il s’agit ici d’utiliser une procédure administrative (la mission du maintien de l’ordre est, rappelons-le, une mission de police administrative des services de police), à des fins de constatation d’infractions pénales. L’idée est de contourner la procédure judiciaire, pourtant garante du respect des droits fondamentaux, afin d’atteindre l’objectif du contrôle des bulles sociales. Ce procédé doit nous alarmer. Ce n’est en effet pas la première fois qu’un détournement de procédure est envisagé (rappelons-nous la question des visites domiciliaires visant à expulser des étrangers en situation illégale).

En cette période de crise sanitaire sans précédent, il y va de la responsabilité de chacun et chacune de se conformer aux règles mises en place afin d’endiguer la pandémie. Les citoyens savent également que le non-respect de ces règles peut donner lieu à des poursuites pénales ou à une sanction administrative.

Ce contexte d’urgence sanitaire ne peut toutefois tolérer des annonces fracassantes de visites domiciliaires afin de vérifier le respect des règles. De telles annonces sont sans fondement juridique et constituent des incitations à détourner les procédures. Elles risquent de faire perdre confiance en l’Etat de droit et sont autant de sources d’inquiétude pour tous les défenseurs des droits fondamentaux.

Le 25 novembre : de la République Dominicaine à la journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes

Stéphanie Wattier

Professeure à la Faculté de droit de l’UNamur

 

Ce mercredi 25 novembre est « célébrée » la journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes. Cette date a été choisie en la mémoire des trois sœurs Patria, Minerva et Maria Teresa Mirabal qui s’engagèrent activement en République Dominicaine contre la dictature de Rafael Trujillo et finirent assassinées sur ordre de ce dernier le 25 novembre 1960. Organisée chaque année depuis 1981 par les personnes actives dans la lutte pour la protection des droits des femmes, le 25 novembre a été proclamé « journée internationale » par l’ONU en 1999.

Malgré l’adoption d’une Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes par les Nations Unies en 1979, les violences faites aux femmes demeurent une des violations les plus dévastatrices et les plus tues des droits humains.

Ces violences ne se limitent pas aux coups et blessures physiques. Elles englobent la violence psychologique, les actes sexuels forcés, l’exploitation sexuelle, les mutilations génitales, les mariages forcés. Elles englobent aussi le harcèlement, que ce soit dans la rue, au travail ou dans la sphère privée. Elles concernent également le cyber-harcèlement ou la cyber-violence comme l’a récemment confirmé la Cour européenne des droits de l’homme dans une affaire concernant un mari qui consultait les échanges électroniques privés de son épouse (arrêt Buturugă c. Roumanie du 11 février 2020).

Cette liste non exhaustive illustre que les violences faites aux femmes demeurent un fléau, notamment en raison de la stigmatisation et du sentiment de honte et de culpabilité qu’elles continuent de générer dans le chef des victimes. Ces violences concernent les filles et les femmes de tout âge, de toute nationalité, de toute race, de toute conviction et de toute classe sociale.

Il manque encore aujourd’hui en Belgique une approche structurelle de ces violences et une meilleure formation de tous les acteurs et actrices de terrain qui y sont confrontés.

A cet égard, l’on ne peut qu’espérer que le Gouvernement d’Alexander De Croo mettra en œuvre les objectifs qu’il s’est fixés, à savoir de faire de la lutte contre les violences de genre « une priorité », « dans tous les domaines », « de manière intégrale » et « par une coopération active » (sic.). L’accord de Gouvernement prévoit également de s’interroger sur la potentielle consécration de l’infraction de « féminicide » dans le Code pénal. A ce sujet, il est interpellant de constater qu’il n’existe actuellement aucune plateforme et/ou institution étatiques en charge du phénomène du féminicide. Seule existe la plateforme d’initiative privée, appelée « Mirabal » – dont on aura compris que son nom rend hommage aux trois sœurs assassinées –, qui a été créée par un ensemble d’associations afin de recenser les féminicides ayant lieu chaque année en Belgique.

En cette période de reconfinement, avec l’accroissement déjà constaté des violences conjugales durant le « lockdown » du mois de mars et d’avril, le 25 novembre doit, plus que jamais, être l’occasion pour les autorités politiques de se pencher sur la question de l’élimination des violences à l’égard des femmes et sur les solutions concrètes à y apporter.

Alexander I : le premier Gouvernement fédéral qui fait place à la diversité de genre

Stéphanie Wattier
Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Namur

 

Quatre cent nonante cinq jours après les élections de 26 mai 2019, le Gouvernement fédéral – dit « Vivaldi » – emmené par Alexander De Croo a prêté serment dans les mains du Roi ce jeudi matin.

Le casting du nouveau gouvernement mis en place est le suivant : sept ministres de sexe féminin et sept ministres de sexe masculin, l’article 99 de la Constitution imposant un maximum de quinze ministres et le premier ministre étant considéré comme « asexué » linguistiquement. A ce Conseil des ministres nouvellement formé, s’ajoutent cinq Secrétaires d’Etat : trois hommes et deux femmes.

Ce faisant, pour la première fois de l’histoire de la Belgique, le Conseil ministres est composé de manière parfaitement égalitaire entre les hommes et les femmes. Pourtant, cette égalité n’est, en l’état actuel du droit constitutionnel, pas une obligation. En effet, l’article 11bis de la Constitution dispose que « [l]e Conseil des ministres et les Gouvernements de communauté et de région comptent des personnes de sexe différent », ce qui signifie qu’il faut au moins un ministre de sexe masculin et au moins un ministre de sexe féminin.

Cette absence d’exigence d’égalité de genre au sein du pouvoir exécutif est regrettable, d’autant que la présence des femmes dans les fonctions dirigeantes demeure une problématique récurrente, et ce, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Espérons que le Gouvernement Alexander I pourra donner l’impulsion à ce que la Constitution soit modifiée lors de la prochaine législature afin que l’égalité de genre au sein des gouvernements y soit consacrée.

En ce qui concerne le pouvoir législatif, cette exigence existe déjà depuis 2002 au niveau des listes électorales, qui doivent compter autant d’hommes que de femmes en plus de l’exigence de personnes de sexe différent sur les deux premières places de la liste.

Mais le Gouvernement d’Alexander De Croo va encore plus loin que respecter l’égalité entre femmes et hommes. Il va jusqu’à accueillir la diversité des genres en comptant une personne issue de la communauté LGTBQI+. En effet, pour la première fois, le Gouvernement compte une personne trans*. Si Petra De Sutter est aujourd’hui une femme, elle est née homme il y a 57 ans. Membre du parti Groen, elle sera désormais Vice-première ministre et disposera du portefeuille de la fonction publique et des entreprises publiques.

Cette ouverture à la diversité de genre du nouveau Gouvernement sur le plan de sa composition nous paraît essentielle pour aborder les différents objectifs qu’il s’est fixé. En effet, l’accord de gouvernement donne une place importante aux questions de genre, et spécialement à la problématique des violences de genre qu’il hisse au rang de ses priorités. Il annonce qu’une loi-cadre sera adoptée pour endiguer ce phénomène et que des statistiques seront collectées pour mieux comprendre la dimension genre dans les violences. Il prévoit également de s’interroger sur la potentielle consécration de l’infraction de « féminicide ». S’il est vrai que les violences touchent au premier plan les femmes et que le confinement a confirmé que c’est dans la sphère intime qu’elles sont les plus fréquentes, il en va d’une problématique devant être abordée de manière transversale, en ne négligeant pas la communauté LGTBQI+ qui est également la cible de ces violences, ainsi que les enfants qui en sont souvent les victimes collatérales.